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/Betty

Depuis 2024​, Betty apparaît en filigrane d'une correspondance avec Elsa Chomienne. Betty se forme sur scène.

©Marion Augusto, photographie, 2022

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1. Pile et Face

2. Do Si

3. Betty et le sale con

4. Martiale et Mariotte

5. Dolby et Digital

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5.

L’un des deux est aveugle.
Et l’une d’elles chantait.
Ils savaient, oui, qu’à 10h, ils seraient toujours là, côte à côte, à regarder les étoiles sur une
rivière, quelque part où ça, va savoir.
“J’ai quelque chose pour vous, une belle pièce.”
Ils ne regardaient pas. Ils n’avaient pas besoin. C’était surprenant de les voir.
C’était clair, limpide : ces deux-là étaient liés.
Une plaque d'environ 80cm x 80cm, épaisse de 15. (...) Une pile de chemises, deux,
pour être exact. Taille 40-42. Manche longues, dos pincé. Très bien pliées, à vue de nez je
dirais, oui, col repassé, boutons intacts. Couleurs indéfinissables, presque similaires, blanches peut-être, ou bleues.
L’eau coule.
Tac Toc Taoc Toac Toc Toc.
Par dessus sa chemise le col blanc sur bleu rien ne bouge, bleu sur blanc tout fout le camp.
Entre et fait six pas, quatre droits, pas bien droits, relativement droits, s’arrête au milieu,
tourne et en fait deux de plus. Suit les lignes du sol. Pense que la distance n’est pas une
évidence, qu’elle est meuble et qu’elle se travaille comme une pâte. Retrousse ses
manches, blanches sur bleues jusqu’à l’articulation et par-dessus le coude bleues sur
blanches. Amène deux paires de gants : les jetables et les jetables. Entre La. Manches
retroussées.
Dit les bons jours, Aaaaaaaaaah tiens, tiens. D’autres C’est un sale con !, ééééé voilà ou Betty.
Mais Je ne suis pas Betty.
“Bonnnnjouuuuur !”
Tu es rentrée sans frapper.
Il a filé ce sale con. Le sale con t’a pris sur son épaule ma Betty, toi tes pleurs et le chagrin.
Betty, la voix qui flanche est jolie... Betty, ses jambes qui tremblent, oui, ça aussi, joli, joli joli
JOLI HIIIIHIHIHI les jambes qui tremblent, ça aussi, JOLI, du peps de l'authenticité le
charme finalement d'une belle femme fêlée, du talent je ne sais pas, du travail ah ça non
certainement - besoin non pas, ne changez pas Betty, brisez-vous encore un an, deux, ou
trois, on viendra nombreux vous voir, Betty, écouter mourir votre voix.
Comme il t’a tordue ce choix-là, remis les jambes bien droites et puis le moral de traviole.
Vous n’étiez pas une joyeuse paire, moi je te le dis.
Déjà dit : Je ne suis pas Betty.
Cette lettre l’avait intrigué au départ, mais il s’était habitué aux mystères et aux devinettes, de par son métier.
Il couvre des tas d’événements allant du tout au rien, allant là où tombent les gens d'en bas de la route dans le ravin, ou là où tremblent les jambes des femmes qui chantent, pour écouter mourir leurs voix.
Il croit que le réel lui appartient il le presse de ses yeux comme on presse un fruit mûr pour en faire
sortir son jus ou un corps pour y laisser son empreinte, il oppresse le réel pour en faire sortir des images, des images des mots, des mots des titres, des titres des unes…. suite, il prend les images, les voix, les visages, il les détruit à sa façon, les façonne à son effigie, avant de les rendre au public, le pensant conquis, qu’il appelle le peuple. Lui ne se rend jamais, il épargne toujours la sienne à l’évidence.
Un corps qui chante l’unisson. Comme un rire. Un rire, mon vieux ! Vous ne l’avez jamais entendu. On m’appelle une tache dans le milieu. Allez savoir pourquoi.
Je vous prie de faire attention, c’est un féminin. Je vous jure que cette erreur de rien du tout provoque des incidents diplomatiques.
— Elle rassemble les forces — Tu veux dire, les formes ?
On l’appelle une tache dans le milieu et je vais vous dire pourquoi.
C’est clair, limpide : ces deux-là sont liées, ce liant fait la résistance.
Le réel c’est peut-être bien lui. Deux tâches se forment sur sa chemise.
In vitro in vivo !
Belle en scène comme à la ville
Qui êtes-vous ? T'es qui ? Toi tu viens faire quoi, là ? Et moi, je fous quoi ?
Tu viens faire quoi, toi, là ? Dis-moi tout Nom Prénom Âge et Profession
Je lève les yeux vers toi. Ça te surprend et ça te gène je crois, tu décroises les jambes et tu
te bascules sur tes hanches.
Arrête ça. Continue.
Parle-moi d’elle.
B (peur) : Quoi ? Qui est là ?
A : Quoi ?
B (très peur) : Qui est là ??
A : Je parlais de toi.
Tu sais c’est pas vrai ce qu’on raconte. J’ai écouté les cassettes, les autres. Des heures et
des heures de bobine, je te jure. Ça m’a pris comme ça, un jour, après la pause dej’, kefir de
figue, salade verte et raviolis.
Il enlève sa chemise, passe une autre chemise.
Pas de conséquences t’inquiète.

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Un homme (c)hante au milieu d’une rivière, les mains enfoncées dans sa lie. Il la traverse. Lentement il déplace quelque chose. Bascule la chose lourde. Quand il arrive à son bord, c’est là qu’il rencontre un autre homme. L’un des deux est aveugle. Ils s’accordent, sur un sens commun à donner à l’objet. Ils tâtonnent pour en définir les contours et lui trouver une place.

2. Do Si La

Quand Si arrive, Si enfile une blouse même si personne ne l’y oblige. Par-dessus sa chemise, le col blanc sur bleu rien ne bouge, bleu sur blanc tout fout le camp. Rouge soupçon, exactement. Si traverse le couloir de gauche en sortant de l’ascenseur et se dirige vers la chambre du fond. C’est la chambre de Do. Si toque avec sa manière : Tac Toc Taoc Toac Toc Toc. Si sait maintenant et depuis le temps, que Do n’entendra probablement pas Tac Toc Taoc Toac Toc Toc. Pas comme Si l’entend. Do entend peu d’habitude et le matin encore moins – la nuit pour Do est une sourdine, ses repères sont posés juste à ses côtés. Sur la tablette, à sa portée. Si fait comme si de rien n’était car Si pense que Do recevra quelque chose, quand même quelque chose comme une vibration. Si insiste donc toujours sur Toc Toc, entre et fait six pas, quatre droits, pas bien droits, relativement droits. Si s’arrête. Au milieu tourne et en fait deux de plus. Si suit les lignes du sol. Si pose délicatement un doigt sur le thorax de Do pour faire signe, une nuance pour signer sa présence, puis Si installe son vis »age face au sien, en vis-à-vis. Plus près qu’à l’accoutumé, et au conventionnel, Si dirait trop près. Si pense que la distance n’est pas une évidence, qu’elle est meuble et qu’elle se travaille comme une pâte. Si met ses mains dedans, dans son vide et dans son bruit. Si proche de Do, la distance franchie, dit : « Boooonjouur ». Les bons jours, Do dit : « Aaaaaaaaaah tiens, tiens ». Do, Si, le sourire dans un intervalle de reconnaissance. Les autres, Do dans l’oubli et Si quelque part où ça va savoir, dit : « C’est un sale con ! », « ééééé voilà » ou « Betty ». Je ne suis pas Betty, je ne suis pas Betty, je ne suis pas Betty, je ne suis pas Betty, Mais si c’est Betty, si il te faut Betty, faux si c’est Betty, si Betty te rassure, Alors peut-être Betty, je peux être Betty, Si peut- être Betty, je peux être Betty, Mais quand je s’rai partie, quand je serai partie, Si peut-être partie, quand sonnera midi, Je ne serai plus Betty, je ne serai pas Betty, je ne suis pas Betty, serai seulement Si. Si retrousse, drap blanc sur bleu jusqu’à l’articulation et par-delà le genou, bleu sur blanc. Si fait couler l’eau et attend entre ses doigts qu’elle soit chaude. Si remplit la bassine. Amène deux paires de gants : les jetables et les jetables. Entre La. L’attrape le drap. Soulève le drap. Do, dans de beaux draps. mouillés. Donc : toc toc, six pas, un doigt qui signifie, vide et bruit et entre et dit : « Booonjour ! », brouillé, reconnue la danse de l’eau qui coule, entrelacs et les beaux draps mouillés. La Si manches retroussées. L’allume la petite radio qui passe la chanson de Jesse Garon. Si monte le son.

4. Mariotte et Martiale

Un bon matin, le chroniqueur trouve dans sa boîte une toute petite lettre de rien du tout où est inscrit le minimum pour se fixer un rendez-vous : Là, chiffre h. Cette toute petite lettre l’a intrigué au départ, mais il s’est habitué, par son métier, aux mystères et aux devinettes. Son métier l’amene dans des endroits pas croyables, à la rencontre de situations improbables. Il n’en est pas pour autant devenu philosophe, un peu misanthrope, peut-être. On l'appelle, il part. À n’importe quelle heure du jour et de la nuit et à la hâte, le pied encore ensommeillé sur l’accélérateur, la main sur le volant de sa vieille vieille voiture, il roule en semi-automatique et le voilà déjà sur scène. Crime, châtiment, théâtre, accident…. Spécialisé un peu malgré lui dans ce qu’on appelle les faits divers, il était un peu las que ses chroniques n’apparaissent qu’à l’envers des journaux. Il s’en était fait une raison, de fait, les curiosités c’est ce qui rapporte le plus. Il couvre ainsi des tas d’événements, allant du tout au rien, allant là où tombent les gens d'en bas de la route dans le ravin, là où tremblent les jambes des femmes qui chantent, pour écouter mourir leurs voix. Il joue avec son volant comme avec les mots sur la route pour inventer des combinaisons sans jamais le lâcher, car ce qu’il veut au fond et plus que tout, c’est un gros poisson, un gros pigeon, un gros titre rempli de peps et d’authenticité, une punchline. Une une. Un rêve de gosse. Lorsqu’il arrive sur la scène, le chroniqueur l’interroge et la balaie de son regard, de haut en bas, de droite à gauche, devant, derrière, il la fait tourner tout autour de sa pupille. Il faut voir l’allure qu’il prend ! Une allure allant sur des terrains conquis. Il n’a plus peur de rien, c’est l’expérience qui parle, comme il dit, il en a trop vu et de toutes les couleurs. Des couleurs qu’il fait voir, lui aussi. Des bleus, des vertes et des beurres noirs, des coquards, le toquard, pour qu’elles n’y voient plus rien. Il croit que le réel lui appartient, c’est sans appel, il le presse de ses yeux comme on presse un fruit pour faire sortir son jus ou un corps pour y laisser son empreinte, il oppresse le réel pour en faire sortir des images, des images des mots, des mots des titres, des titres des unes…. Ainsi de suite. Il prend les images, les visages et les voix, il les détruit à sa façon, les façonne à son effigie, puis les rend au peuple comme il le pense, mais lui ne se rend jamais, il épargne toujours la sienne. Ce jour du rendez-vous, quand il sort de chez lui, le chroniqueur ne peut pas prendre sa voiture, car il y a sur la voie principale, un ballet de bras nus. Une horde – une cohorte de marcels engagés dans la même direction. Pas de cadence, pas de blasons, pas de cols, un corps à l’uniforme cousu par les irrégularités, un corps qui chante à l'unisson comme on rit. Un rire, mon vieux ! Un rire comme vous ne l'avez jamais entendu. Un rire à décoller les papiers peints, un rire à briser les pierres sous les pas. Il croit reconnaître au loin la figure de Betty, mais la figure de Betty semble avoir changé dans les yeux de Do, alors il n'en est pas sûr. Elles ne se regardent pas, c'est surprenant à voir. Il se dit : « Merde alors ! en voilà un événement et en son sein une manifestation, comme j’aimerais la couvrir et la recouvrir, l’éteindre comme une allumette entre mes doigts mouillés. » Il garde en tête son objectif : là, chiffre h, puis traverse les bras ballants de la voix principale.

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